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L’évolution des chemins de fer kenyans sur un siècle : une histoire d’éveil et de développement (REPORTAGE)

L’évolution des chemins de fer kenyans sur un siècle : une histoire d’éveil et de développement (REPORTAGE)

Le chemin de fer à voie métrique construit par les colonialistes britanniques en Afrique de l’Est entre 1896 et 1901, emblématique de l’expansion de la civilisation occidentale, a conduit les colons blancs sur le continent africain en quête d’aventure et de conquête coloniale, et a été le témoin du processus d’éveil du Kenya et de sa lutte pour l’indépendance.

« Il n’est pas rare qu’un pays crée un chemin de fer, mais il est rare qu’un chemin de fer crée un pays », a déclaré Sir Charles Eliot, alors commissaire de l’Afrique de l’Est britannique, en 1903.

Eliot, qui a lancé, selon le site internet de l’Encyclopaedia Britannica, « la politique de suprématie blanche dans le Protectorat britannique d’Afrique de l’Est (aujourd’hui le Kenya) », faisait référence au chemin de fer à voie métrique construit par les colonialistes britanniques en Afrique de l’Est entre 1896 et 1901.

Ce chemin de fer, emblématique de l’expansion de la civilisation occidentale, a conduit les colons blancs sur le continent africain en quête d’aventure et de conquête coloniale, et a été le témoin du processus d’éveil du Kenya et de sa lutte pour l’indépendance.

« Il y a ceux qui l’ont loué (le chemin de fer) comme un élément clé dans la naissance du Kenya, ou ce que nous appelons la naissance d’une nation, et ceux qui sont plus enclins à dire qu’il a joué un rôle dans la colonisation du Kenya », a déclaré Dennis Munene, directeur exécutif du Centre Chine-Afrique, lors d’une récente interview à Xinhua.

« Nous célébrons aujourd’hui notre indépendance depuis 60 ans. Et nous continuerons toujours à regarder derrière nous ce qui s’est passé. Nous allons guérir de nos blessures et faire en sorte que le Kenya atteigne un meilleur niveau de développement », a dit M. Munene.

LA PARTITION EUROPEENNE DE L’AFRIQUE

A l’entrée du Musée du chemin de fer de Nairobi, le chemin de fer centenaire, initialement baptisé Uganda Railway du nom de sa destination, est présenté sur une carte de l’Afrique de l’Est.

Construit entre 1896 et 1901, il partait de la ville portuaire de Mombasa, sur la côte de l’océan Indien, et s’étendait vers le nord-ouest pour s’arrêter à Port Florence, aujourd’hui Kisumu, sur les rives du lac Victoria.

(231211) — NAIROBI, Dec. 11, 2023 (Xinhua) — People visit the Nairobi Railway Museum in Nairobi, Kenya, on Nov. 27, 2023. The Nairobi Railway Museum, nestled in Nairobi’s bustling downtown, remains a popular destination for both locals and tourists eager to delve into Kenya’s rich history. (Xinhua/Li Yahui) TO GO WITH Feature: Kenya’s railway evolution fuels nation’s renewal

Des personnes visitent le Musée du chemin de fer de Nairobi à Nairobi, au Kenya, le 27 novembre 2023. (Xinhua/Li Yahui)

Pour comprendre la naissance du chemin de fer, il faut évoquer la conférence de Berlin de 1884-1885. Au cours de cette conférence, le Royaume-Uni et d’autres puissances occidentales ont discuté des règles de colonisation et de partage de l’Afrique, telles que l' »occupation effective ».

Paradoxalement, aucun représentant africain n’a assisté à cette conférence décisive pour le destin de l’Afrique. Une semaine avant sa clôture, le journal Lagos Observer commentait : « Le monde n’a peut-être jamais été témoin d’un vol d’une telle ampleur ».

« Après la clôture de la conférence, les puissances européennes ont étendu leurs revendications en Afrique de telle sorte qu’en 1900, les Etats européens avaient revendiqué près de 90% du territoire africain », écrit l’Encyclopédie de l’Afrique.

Le dirigeant révolutionnaire russe Vladimir Lénine a souligné dans son livre de 1917, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, que « lorsque les neuf dixièmes de l’Afrique avaient été saisis (en 1900) et que le monde entier avait été divisé, l’ère de la possession monopolistique des colonies et, par conséquent, de la lutte particulièrement intense pour la division et la redivision du monde, s’ouvrait inévitablement ».

Pour renforcer son contrôle sur l' »Afrique de l’Est britannique », le gouvernement britannique a construit une voie ferrée pour contrôler l’ensemble du bassin du Nil, qui prend sa source dans le lac Victoria.

Cependant, le projet suscite le mécontentement du parlement et des médias britanniques, car son coût, estimé à cinq millions de livres, est jugé exorbitant. Le politicien britannique Henry Labouchère a même écrit un poème dans lequel il se moque du chemin de fer en le qualifiant de « lunatic line » (ligne lunatique).

Pourtant, aux yeux des colonisateurs, le jeu en valait la chandelle. La construction du chemin de fer n’était pas seulement une étape dans la partition de l’Afrique, mais aussi un élément de la construction du système colonial impérialiste.

« Quelle que soit la puissance qui domine l’Ouganda, elle maîtrise le Nil, le maître du Nil dirige l’Egypte, le souverain de l’Egypte tient le canal de Suez », écrit Charles Miller en 1971 dans son livre The Lunatic Express : An Entertainment in Imperialism, qui a valu son surnom au chemin de fer.

(231211) — NAIROBI, Dec. 11, 2023 (Xinhua) — Photo taken on Nov. 27, 2023 shows a locomotive prototype at the Nairobi Railway Museum in Nairobi, Kenya. The Nairobi Railway Museum, nestled in Nairobi’s bustling downtown, remains a popular destination for both locals and tourists eager to delve into Kenya’s rich history. (Xinhua/Li Yahui) TO GO WITH Feature: Kenya’s railway evolution fuels nation’s renewal

Photo prise le 27 novembre 2023 d’un prototype de locomotive au Musée du chemin de fer de Nairobi à Nairobi, au Kenya. (Xinhua/Li Yahui)

UN « SERPENT DE FER » ENTACHE DE SANG

Aux yeux des tribus locales, le chemin de fer était un « serpent de fer ». Une ancienne prophétie tribale disait que le serpent de fer traverserait un jour leurs terres et serait de mauvais augure, créant des troubles sur son passage.

Dans la salle d’exposition principale du musée, une rangée de photographies encadrées de bois reproduit la naissance du « Serpent de fer » : ingénieurs et officiers britanniques en casque, uniformes et bottes d’équitation, debout sur le toit de la locomotive, entourés d’ouvriers en haillons et pieds nus.

La construction du chemin de fer était bien plus complexe que les Britanniques ne l’avaient imaginé, tandis que le coût réel en vies humaines était incommensurable.

Sans l’aide de machines, le chemin de fer de 931 km de long a été construit par des ouvriers munis d’outils simples. Les matériaux de construction et l’eau douce doivent être acheminés d’ailleurs. Les lions mangeurs d’hommes qui erraient dans la savane, les maladies tropicales comme la malaria et les attaques des populations locales qui résistaient à l’invasion du « Serpent de fer » sont devenus la faucheuse de la mort.

D’après le musée, 2.493 ouvriers sont morts au moment où le chemin de fer a été achevé, soit quatre morts pour chaque mile de voie posée.

Cela a probablement surpris les nobles Britanniques qui sont ensuite montés à bord des trains pour s’amuser, comme le montrent les publicités du chemin de fer dans les années 1920, dont l’une proposait l’Afrique de l’Est comme « résidence d’hiver pour les aristocrates ».

En posant le pied sur le continent africain, les colons aspiraient à transformer les vastes terres fertiles du Kenya en un « paradis de l’homme blanc », en organisant des courses de chevaux et en chassant sur les collines verdoyantes et les forêts luxuriantes. Ils ont également établi des plantations de cultures commerciales telles que le café et le thé pour les transformer et les vendre en Europe.

Les éleveurs locaux, tels que les Massaï, ont été les plus touchés par l’expansion coloniale et leur résistance a brutalement été réprimée. Dans son livre Le déplacement des Massaï : une mésaventure coloniale (Moving the Maasai: A Colonial Misadventure), l’auteure britannique Lotte Hughes décrit comment de nombreux Massaï ont été déplacés de force dans deux réserves et dépossédés de la majeure partie de leurs terres. Les Kikuyus, une autre tribu importante de la région, ont connu le même sort.

Cette économie coloniale a laissé un impact durable sur le Kenya, et la douleur se fait encore sentir.

En 2022, un groupe de Kenyans ont porté plainte contre le gouvernement britannique devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour vol de terres à l’époque coloniale, torture et mauvais traitements, affirmant que les tribus locales du comté de Kericho avaient été expulsées de force au début du XXe siècle de leurs terres ancestrales, une importante région de culture du thé exploitée aujourd’hui par de grandes multinationales. « Le gouvernement britannique a esquivé et plongé, et malheureusement évité toutes les voies de recours possibles », a déclaré l’avocat du groupe, Joel Kimutai Bosek.

« Il y a du sang dans le thé », a déclaré l’historien Godfrey Sang, les terres de son grand-père ayant été distribuées à des fermiers blancs.

(220517) — NAIROBI, May 17, 2022 (Xinhua) — Photo shows a variety of translation versions of « Out of Africa » inside the bookcase of the Karen Blixen Museum in Nairobi, Kenya, on April 19, 2022. TO GO WITH « Feature: Karen Blixen Museum showcasing rich heritage amid rising tourist numbers » (Xinhua/Bai Lin)

Photo montrant des versions en différentes langues du livre « La Ferme africaine » (Out of Africa) dans la bibliothèque du Musée Karen Blixen à Nairobi, au Kenya, le 19 avril 2022. (Xinhua/Bai Lin)

DES MOUVEMENTS ANTICOLONIALISTES

Après la Première Guerre mondiale, alors que de plus en plus d’Européens se sont installés dans la colonie est-africaine, peu de terres ont été laissées aux mains des populations autochtones. « On prend aux indigènes plus que la terre quand on leur enlève celle de leurs pères. On les dépouille de leur passé, de leurs racines, de leurs coutumes », a écrit Karen Blixen dans son célèbre livre « La Ferme africaine » (Out of Africa).

Dans les années 1930 et 1940, un vent de résistance soufflait parmi les communautés locales qui avaient été privées de leurs terres. Leur mécontentement a alimenté divers mouvements nationalistes kenyans et a fini par donner naissance au mouvement Mau Mau.

Les Mau Mau, un groupe militant anticolonialiste principalement composé de membres du peuple Kikuyu, se sont réunis sous le slogan « terre et liberté » et ont rapidement gagné le soutien des communautés locales.

Grâce aux chemins de fer, les nationalistes pouvaient voyager d’un bout à l’autre du Kenya pour participer à des rassemblements politiques et encourager les Kenyans à se battre pour leur indépendance. On dit aussi que certaines personnes auraient utilisé les chemins de fer pour fournir des armes à celles qui se battaient pour l’indépendance.

En octobre 1952, le gouvernement colonial britannique a déclaré l’état d’urgence en raison de l’insurrection des Mau Mau, qui a marqué le début d’une répression sanglante.

En 1956, la capture du chef rebelle Dedan Kimathi a symbolisé la défaite du mouvement Mau Mau, cependant la rébellion a survécu jusqu’au début des années 1960. A la fin de l’année 1956, plus de 11.000 rebelles avaient trouvé la mort dans les combats, selon le site internet de l’Encyclopaedia Britannica.

Le 12 décembre 1963, le Kenya est devenu totalement indépendant du régime colonial. Une vague de décolonisation a traversé l’Afrique dans les années 1950 et 1960, menant à l’indépendance d’une trentaine de pays africains.

DU LUNATIC EXPRESS AU MADARAKA EXPRESS

Le Kenya a brisé les chaînes du régime colonial il y a de cela soixante ans, pourtant l’héritage de l’économie coloniale a continué de restreindre le développement du pays pendant des décennies.

Aujourd’hui, quand ils regardent par la fenêtre du train sur les vieilles voies ferrées, les touristes peuvent admirer les beaux paysages et la faune diverse du Kenya tout en observant les plantations de thé, dont certaines appartiennent toujours à des multinationales occidentales.

Par ailleurs, un changement notable a attiré leur attention : la nouvelle ligne ferroviaire à écartement standard (SGR) Mombasa-Nairobi construite par la Chine est exploitée en parallèle des anciennes voies.

La SGR, surnommée Madaraka Express, a été inaugurée le 31 mai 2017, soit la veille du jour de Madaraka qui commémore l’autonomie du gouvernement kenyan le 1er juin 1963.

Cette nouvelle ligne a drastiquement réduit le temps de trajet et le coût des services de fret. Elle est devenue le choix de prédilection des usagers réguliers, car elle stimule le commerce et donne plus de poids aux petites villes situées le long des voies.

Dans le Musée du chemin de fer, une locomotive miniature de la SGR est exposée et, sur les côtés des voitures, on peut lire le slogan « des nations connectées, des peuples prospères ».

(231211) — NAIROBI, Dec. 11, 2023 (Xinhua) — A visitor views exhibits at the Nairobi Railway Museum in Nairobi, Kenya, on Nov. 27, 2023. The Nairobi Railway Museum, nestled in Nairobi’s bustling downtown, remains a popular destination for both locals and tourists eager to delve into Kenya’s rich history. (Xinhua/Li Yahui) TO GO WITH Feature: Kenya’s railway evolution fuels nation’s renewal

Une personne visite l’exposition du Musée du chemin de fer de Nairobi à Nairobi, au Kenya, le 27 novembre 2023. (Xinhua/Li Yahui)

« Le vieux chemin de fer Kenya-Ouganda était plutôt une voie ferrée extractive quand les maîtres coloniaux acheminaient des matières premières de l’arrière-pays vers l’océan Indien pour les expédier dans leurs pays », a expliqué M. Munene.

« La SGR, qui est un partenariat entre la Chine et le Kenya, est axée sur le développement. Elle aide le Kenya dans son intégration avec les autres pays d’Afrique de l’Est. Elle aide le Kenya à se développer au niveau économique. Elle crée ce que nous appelons un mode de transport rapide et efficace pour les marchandises et les passagers », a-t-il poursuivi.

La nouvelle ligne ferroviaire circule sans problème depuis plus de 2.300 jours, transportant des millions de passagers et de tonnes de marchandises et contribuant de manière significative à la croissance socioéconomique du Kenya. Les conducteurs, techniciens et personnels de bord locaux, formés par des professionnels chinois, assurent l’exploitation sans heurts du chemin de fer.

Le Madaraka Express est un parfait exemple de la coopération entre la Chine et le Kenya dans le cadre de l’Initiative la Ceinture et la Route (ICR). Au cours des dernières années, de tels projets de coopération ont contribué à l’amélioration de la connectivité des infrastructures sur le continent ainsi qu’au développement du commerce intra-africain.

Du Lunatic Express au Madaraka Express, le passé colonial représenté par les vieux chemins de fer s’efface progressivement. Un brillant avenir émerge grâce aux nouveaux chemins de fer.

NAIROBI, 29 janvier (Xinhua)

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