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Le juriste et écrivain Youssouf Sylla : “ Le discours de Macron n’est pas celui d’un président qui plie ses bagages pour quitter le continent“

Dans cet entretien exclusif, M. Youssouf Sylla, auteur de « Post Françafrique » procède à une analyse contextuelle du dernier discours du président français à destination de l’Afrique. Il aborde également l’ouverture d’une nouvelle ère dans les relations franco-africaines et les facteurs susceptibles de faire évoluer ces relations dans les années à venir, dans un environnement de grande concurrence avec d’autres acteurs stratégiques que sont la Chine et la Russie.

En prélude à sa tournée en Afrique Centrale, le Président français Emmanuel Macron a tenu le 27 février dernier un important discours à l’Elysée pour ouvrir un nouveau « cycle » des relations franco-africaines après un important bousculement du leadership français notamment au Mali et au Burkina Faso.

Quel est à votre avis le contexte dans lequel ce discours est tenu et quels en sont les principaux points de repères ?

Youssouf Sylla: Le contexte. Disons tout d’abord qu’en moins de 6 ans, depuis le fameux discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017, l’histoire des relations franco africaines a pris un important coup d’accélération. Il y a eu un double coup d’Etat militaire au Mali suivi de l’éjection de la force française « Barkhane ». Un double coup d’Etat militaire au Burkina suivi lui aussi de l’arrêt de l’opération « Sabre » après une quinzaine  d’années de présence militaire française. Les nouvelles autorités militaires malienne et burkinabè jugent en effet l’action des forces armées françaises insuffisante pour venir à bout des djihadistes que rien en semble arrêter. Reconnaissons quand même que sans l’opération « Serval » en 2013 sous François Hollande, Bamako se serait retrouvé dans les mains des djihadistes dont l’avancée ne faisait l’objet d’aucun doute.

Ensuite, en février 2021, il y a eu le début de la guerre russo-ukrainienne avec ses conséquences géopolitiques notamment en Afrique. La Russie, héritière de l’Union des Républiques soviétiques socialistes (URSS), qui est aussi un partenaire historique de l’Afrique depuis les années 60 dans la cadre de la décolonisation revient en force dans le continent noir, en se posant dans une rivalité stratégique avec la France dont la présence, surtout militaire est de plus en plus questionnée dans certains pays. Outre la Russie, la Chine et la Turquie aussi se positionnement dans le continent, y compris dans les pays qui relèvent du pré carré français.

C’est dans ce double contexte, africain et international, qu’intervient le discours de Macron prononcé non en Afrique mais à Paris, ce qui est, notons-le, inédit. Quelle est alors la substance de ce discours. On peut la réduire à deux dimensions. La première est la volonté de Macron de faire monter en puissance le « soft power » français dans le continent, en lieu et place d’une concurrence musclée avec ses rivaux stratégiques. C’est à ce titre qu’il entend réduire « visiblement » son personnel militaire dans les bases militaires françaises en Afrique. Tirant les leçons des récents cas malien et burkinabè, il projette sur le plan sécuritaire une cogestion des bases militaires françaises là où elles existent, ce qui est une nouveauté.  C’est aussi à ce titre, qu’il entend réengager son pays dans le continent à travers le business, la culture, le sport et l’éducation. Il s’agit là d’un ensemble de thèmes captivants et assez chers à la jeunesse africaine. Par cette démarche, Macron veut en définitive, cultiver l’amour de la France dans le cœur des africains. La  deuxième dimension de la substance de son discours est une sorte d’ « information préalable » des chefs d’Etats africains de son initiative de discuter désormais librement et ouvertement avec la société civile, et pourquoi pas avec l’opposition politique, de manière à favoriser l’émergence d’une ambiance démocratique en Afrique. On peut déceler ici la perpétuation de l’esprit du sommet Afrique-France tenu à Montpellier en octobre 2021, sans chefs d’Etat africains. Mais cette défense de la démocratie se heurte tout de suite à l’ambivalence de la France dans certains dossiers. On pense notamment au Tchad où Macron est allé célébrer publiquement la prorogation de la dynastie Deby au pouvoir au mépris des règles de l’alternance démocratique.

Bref le discours de Macron n’est pas celui d’un président qui plie ses bagages pour quitter le continent. C’est un discours d’ambition et de reconquête par le « soft power » d’un continent qu’il sait désormais convoitée par d’autres, pour y défendre sans complexe, les intérêts de son pays et de l’Europe.

Peut-on finalement dire que la Françafrique vit ses dernières heures, et parler de l’ouverture d’une nouvelle ère dans les relations franco africaines ? Une période qualifiée dans votre livre de « Post Françafrique ».

Youssouf Sylla: Il serait tentant de conclure ainsi. Mais le cas du Tchad montre par exemple, que la Françafrique existe encore. On peut citer d’autres cas également. Mais ce qui est évident, il ne fait aucun doute qu’on est aujourd’hui au cœur d’un changement de paradigme dans les relations franco africaines. La période « Post Françafrique » est déjà entamée. A mon avis, un pan important du discours de Macron à l’Elysée s’inscrit dans la logique de déconstruction de la Françafrique qui passe mal en Afrique désormais, surtout auprès d’une jeunesse décomplexée et hyper connectée.  Il convient de noter que le processus de déconstruction de la Françafrique, comme je l’ai expliqué dans mon livre, n’est pas le résultat d’une libre volonté des dirigeants franco africains. Ce processus résulte en réalité de la combinaison de plusieurs facteurs. On peut, entre autres, citer l’évolution des mentalités en Afrique, le besoin d’indépendance de certaines élites politiques africaines, et l’intérêt croissant du continent noir dans l’agenda de certaines puissances non occidentales.

Comment entrevoyez-vous les relations franco africaines dans les prochaines années ?

Youssouf Sylla: Sans tomber dans la science-fiction , je souhaite attirer l’attention sur quelques facteurs clefs, susceptibles d’influencer l’évolution des relations franco africaines dans les années à venir. Côté français, il faut dire que pour diverses raisons, je ne trouve aucun motif capable de justifier le retrait de ce pays de l’Afrique. Au contraire, différents facteurs justifient le rapprochement. Sans être complet, on peut citer la proximité géographique. Ce qui se passe en Afrique peut toucher la France. On voit une partie de la jeunesse africaine désespérée, contourner les circuits officiels pour rallier l’Europe par la mer. Par le phénomène de la contraction géographique, l’essor du terrorisme dans le continent noir constitue une menace potentielle pour la France et l’Europe. Il y a aussi des raisons économiques, diplomatiques, humaines, historiques et culturelles qui créent entre la France et l’Afrique des solidarités de fait, que les deux parties doivent assumer ensemble. Côté africain, il faut dire que ce continent n’est pas sans atout dans le grand jeu international. Il dispose d’importantes matières premières, d’un marché intérieur promoteur, d’une jeunesse prête à travailler et est capable d’offrir au monde, une alternative crédible contre le changement climatique. Toutefois, à cause des mutations qui se passent dans le continent noir, notamment par le biais du changement générationnel, je pense que les Etats d’Afrique francophone vont de plus en plus s’orienter vers une multiplication assumée de leur partenariat sur le plan diplomatique. La France ne sera plus dans les années à venir le partenaire exclusif et inconditionnel de l’Afrique. Les charges sont trop importantes pour qu’elle prétende relever, seule, les défis économiques, politiques, sociaux et sécuritaires du continent noir. Cela est mis en évidence dans le discours de Macron. La France va devoir partager ses terrains favoris en Afrique avec ses rivaux stratégiques que sont la Russie et la Chine, qui atterrissent avec  détermination et ambition en Afrique. Il revient enfin stratégiquement au continent noir de définir un cadre logique de son partenariat avec chaque acteur extérieur de poids pour ne pas être victime de prédation. Le positionnement de l’Afrique face à ces acteurs de poids dans un contexte de redéfinition des enjeux internationaux, est de toute évidence le sujet qui doit figurer en tête de liste dans l’agenda des décideurs africains. L’Afrique doit parler d’une seule voix dans les sujets internationaux, car individuellement pris les Etats sont de moindre poids pour peser.

Source : guineenews

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