C’est dans les faubourgs d’un quartier populaire de la ville de Rabat plus précisément à Takadoum que la rédaction du magazine Djenaba est allée à la rencontre du feu follet de l’heure, l’un des rares militants d’origines subsahariennes qui osent encore prendre la parole publiquement pour défendre la dignité et le droit des migrants résident au Maroc. C’est sur les marches des escaliers jouxtant l’arrière du marché proche du commissariat du cinquième arrondissement que nous allons passer le coup de fil qui à nous laissera venir celui qui est connu pour être le président de l’AMSDH l’Association des Migrants Subsahariens pour la Défense des Droits et la Dignité Humaine. Sourire aux lèvres donnant à sa dentition blanche la possibilité de contraster avec son teint noir Balla Moussa Oularé, la vingtaine bien entamée immigre au Maroc il y a de cela quelques années, après que certaines personnalités hautes gradées de l’armée de son pays, aient lancées une chasse à l’homme contre lui alors qu’il dénonçait avec ses camarades des cas de violations graves des droits fondamentaux des manifestants parmi lesquels il se trouvait être un des leaders.
En effet, le 7 mars 2011 dans la ville de kissidougou va se tenir un événement digne d’être qualifié de feuilleton hollywoodien pour cause la promotion de jeunes soldats connu sous le nom des 1669 de Kissidougou, recrutée lors de la transition militaire de 2009 en Guinée Conakry ayant passé trois ans de formation au total parmi lesquels une bonne partie dans le centre d’infanterie et de recyclage de Kissidougou d’où partira la révolte, va être informée par le directeur du centre d’infanterie le lieutenant colonel Fayimba Mara de ce que l’État n’a pas l’intention de prendre leur promotion en charge en leur attribuant un numéro matricule. Ayant pris connaissance de cet état de fait, les 1669 de kissidougou vont bloquer les routes de la ville du même nom, toute la journée en revendiquant que leurs droits soient respectés. Le soir du 7 mars deux bataillons l’un venant de Nzerekore et l’autre de Bgueguedou vont être envoyés sur les lieux pour mater la manifestation. Arrivé sur le terrain des opérations, ils vont ouvrir le feu à bout portant sur leurs compagnons d’armes, tuant sur le coup une dizaine de soldats, parmi lesquels des corps d’autres soldats seront retrouvés dans les plantations environnantes par les populations locales vacantes à leurs activités. Après que le groupe ait été dispersé Balla Moussa Oularé suivant de prés les événements va entreprendre de faire une enquête en allant à la rencontre des parents des soldats n’ayant toujours pas vu leurs enfants rentrés à la maison. Il raconte la mine éprouvée « j’ai toujours eu les larmes aux yeux en me remémorant ses événements, les corps des camarades morts jonchant la prairie, les blessés courant pour sauver leurs vies, les parents effondrés en larmes toujours sans nouvelles de leurs enfants tout au moins les corps, rien ! La fameuse promotionnaire des 1669 de kissidougou. Je remercie le bon Dieu, car seul le réflexe de m’aplatir au sol en toute vitesse m’a sauvé la vie alors que crépitaient au-dessus de ma tête les armes à feu en joue, car en fait j’étais en première ligne faisant face aux soldats ».
Balla va donc entreprendre de porter plainte contre le haut commandement militaire ayant donné l’ordre de tirer et fait plusieurs morts dans les rangs des manifestants, mais aussi et surtout d’avoir dissimulé les corps, en représailles il raconte « j’ai été renversé par une voiture 4×4 portant l’immatriculation de l’armée à Conakry, après m’avoir percuté de pleins fouets, le chauffeur va s’arrêter et entamer une manœuvre en marche arrière pour venir m’écraser alors que je gisais sur le sol, c’est grâce à ma formation de militaires aguerris et grâce aux cris de la foule présente que ce dernier va s’enfuir me laissant pour mort » nous confiera Balla Moussa Oulare toute émue dans la petite chambre qu’il habite à Takadoum. C’est en effet in extremis qu’il échappe à une autre expédition punitive à Conakry au mois de mai 2011 dans son quartier « j’ai été interpellé par une connaissance, un soldat en fonction qui accourait vers moi me disant fuit, car ils arrivent pour te prendre vif ou mort ! Si ce jour-là je n’avais pas pris fuite, aujourd’hui je serais mort et enterré, car quelques minutes après la mise en garde, un groupe de personnes armée va descendre dans notre domicile familial pour demander après moi ».
Après cette étape sévère et difficile Balla Moussa Oularé va prendre le chemin de l’aventure en passant par l’Algérie il rentre au Maroc ou il se fera discret dans un premier temps pour échapper à ses bourreaux aujourd’hui plus confiant il dit d’abord toute ça reconnaissant pour l’accueil reçu au Maroc. Comme on dit chasser le naturel, il revient au galop Balla Moussa Oularé va se mettre tout de suite au service de la communauté des migrants en accompagnant les uns souvent peu lettrés vers les centres de santé alors qu’ils étaient malade ou les autres pour des procédures administratives en cas de besoin dans différents services consulaires ou plus simplement comme on dit ici ‘’tiré les chenilles aux fourneaux’’ en organisant des opportunités d’emplois pour lui et les autres migrants dans le besoin de s’assumer, de se prendre en charge.
C’est en fin d’année 2020 alors que la COVID-19 bat son plein, en observant différentes violations des droits humains commissent contre les migrants, à savoir les arrestations violentes et arbitraires de ces derniers à l’effet de les refoulés vers le sud du Maroc. Le contrôle aux faciès, le manque de respect notoire de certaines autorités de la police et des forces auxiliaires qui traquent exclusivement des migrants d’origines subsahariennes de manière intempestive. Au point de les privés de la liberté de mouvement, car désormais un grand nombre apeuré à l’idée de se faire capturer puis jetée dans une ville au sud du Maroc, reste enfermé dans leurs maisons. Puisque pour regagner Rabat, ils vont expérimenter la galère de la remontée qui souvent peut durer une semaine à dormir à la belle étoile pour cela sans un sou, une situation désobligeante qui pousse, les uns et les autres à devoir mendier pour pouvoir se payer les frais de transports nécessaires.
C’est au vu de toute la souffrance qui en découle de ce qui précède que Balla Moussa Oularé va décider aidé de quelques amis, de mettre sur pied leur propre mouvement associatif l’AMSDH l’association des migrants subsahariens pour la défense des droits et de la dignité humaine. À la question de savoir pourquoi avoir créé son propre mouvement associatif, au lieu de militer tout simplement dans l’un des nombreux existants.
Il répond à l’affirmative en disant que « les mouvements associatifs d’origines subsahariennes présentement sur le territoire marocain sont tous ou presque à quelques exceptions prêtes des faire-valoir spécialisés en redistribution de kit alimentaire, de kit d’hygiène de kit d’hiver, c’est une plaie pour la dignité des migrants. Rendez-vous compte qu’alors que nous étions le 18 février 2021 à Rabat ville pour manifester contre les arrestations arbitraires des migrants et pour le lancement d’une campagne de régularisation massive, nous avons été interpellés par une patrouille de police qui nous demandait la raison pour laquelle on marchait alors qu’ils nous auraient donné des kits alimentaires à nous les migrants pendant la période de la Covid-19, alors qu’ils tolèrent par moment les mendiants subsahariens dans les carrefours, voila une image que ceux qui nous représentent laisse coller à notre peau celle des hommes ayant vendu leur dignité contre un bout de pain, mais que non ! Aujourd’hui plus que jamais les migrants en souffrance ont besoin d’un leadership qui ose, qui dénonce et fait remonter auprès de l’opinion publique, nationale et internationale la réalité du vécu des migrants pour une amélioration franche des conditions de vie des migrants ».
Une phrase qui caractérise le mieux notre personnage « nous ne sommes pas une marchandise qu’on échange contre les fonds européens, cela doit cesser » soutient Balla Moussa Oularé.
Franck Nama