Les évènements du 5 Septembre offrent, encore une fois, l’occasion et l’opportunité pour le Peuple de Guinée de qualifier sa marche pour plus d’émancipation collective et individuelle, plus d’égalité dans la liberté, plus de justice et de solidarité, et plus de progrès économique et social.

Les forces objectivement porteuses de ce progrès ne doivent pas se laisser distraire par des questions qui, si importantes soient-elles pour la suite, doivent d’abord être considérées comme des effets directs ou collatéraux de réponses à une question plus fondamentale encore Cette question fondamentale, c’est-à-dire la plus importante et la plus décisive dans la situation actuelle de notre pays est celle de l’Etat. Quel État voulons-nous et pouvons-nous réellement et objectivement mettre en place ? Autrement dit quel État pour nous doter des capacités institutionnelles nous permettant d’avancer dans l’unité, la justice sociale, la paix et la solidarité ?

A première vue, tout le monde s’accorde sur un certain nombre de principes et mots-clés pour bâtir la vision commune de la Guinée : État démocratique, État de droit, justice indépendante, élections libres, équitables et transparentes, alternance. Cependant, cette unanimité commence à s’effriter dès qu’il s’agit de donner un contenu plus concret à ces mots-clés et, surtout, comment mettre en place et faire fonctionner les institutions chargées de les opérationnaliser. Une écoute attentive des diverses réponses proposées débouche presqu’inévitablement au recours, en dernière instance, au leader clairvoyant, à l’homme qu’il faut, au nécessaire renouvellement de la classe politique et/ou son rajeunissement etc…, Ce qui n’est qu’une autre façon d’exprimer le besoin, inconscient ou non,  du leader charismatique et providentiel, et, par conséquent, préparer le chemin pour le pouvoir personnalisé ce qui, dans l’état et le niveau actuel de notre société, ouvre la voie à l’instauration progressive d’une dictature, dure ou douce, fermée ou éclairée.

En même temps, de nombreux leaders, politiciens et politologues reprennent à l’envie le précepte de Obama : l’Afrique n’a pas besoin d’hommes charismatiques, l’Afrique a besoin d’institutions fortes. Les questions conséquentes sont les suivantes : qu’est-ce qui caractérise une institution forte ? Comment et qui va mettre en place ces institutions fortes? Là également les réponses proposées ne semblent pas suffisamment développées et consistent trop souvent à s’appuyer sur des exemples d’autres pays pour en copier plus ou moins les approches, voire les institutions, en ignorant peu ou prou les réalités et l’histoire spécifique qui leur a donné naissance.

Pour ma part, je soumets ici en débats cinq (5) propositions que je considère comme étant essentielles pour la construction d’institutions fortes et, par conséquent, d’un État plus démocratique, participatif et inclusif.

1ere proposition.

Ma première proposition est que, au niveau de l’Assemblée Nationale, ’il faut sortir de la dictature des partis politiques (ce qu’un jeune a qualifié de partitocratie). Autrement dit il nous faut déposséder les partis politiques du monopole de la légitimité et de la représentativité dans l’Assemblée Nationale, système qui a pour effet la surpolitisation de l’administration, des politiques publiques et de la gestion des ressources humaines. Au contraire, en plus des partis politiques, il faut que soient admises à l’Assemblée, selon des modalités qui doivent être rigoureusement définies et opérationnalisées, d’autres organisations aussi représentatives du corps social que les partis, comme les syndicats, les organisations nationales des femmes, les organisations des jeunes, le patronat, les organisations paysannes et les “guinéens de l’extérieur”. C’est à travers la participation de ces organisations dans les débats et la prise de décision dans l’appareil législatif que nous pourrons commencer à parler de démocratie inclusive et participative. Cette proposition n’est point aussi saugrenue qu’elle pourrait paraître, puisque nous y recourrons, avec le modèle des CNT,  à toutes les fois où notre pays est confronté à une crise majeure dont la solution ne peut venir que du dialogue et de la concertation constructive de l’ensemble des forces vives du pays.

2ème proposition

Il nous faut sortir du régime présidentiel à outrance, dont la dérive vers les dictatures individuelles est une tendance quasi naturelle au vu de notre histoire politique, de notre spécificité sociologique et anthropologique et le trop faible niveau d’alphabétisation des populations.

Toujours au niveau de l’Assemblée Nationale, il faudra notamment renforcer considérablement les compétences des Commissions Parlementaires, en particulier de pouvoirs et de compétences d’approbation (ou de rejet) des nomination des cadres aux postes techniques de grande responsabilité économique, sécuritaire, judiciaire et diplomatique. Les commissions parlementaires auront aussi les compétences pour enquêter et poursuivre dans les cas de présomption de corruption ou de malversations portant de graves préjudices à l’Etat et à la nation. De telles dispositions pourraient atténuer le clientélisme, l’ethnisme, le régionalisme et l’arbitraire dans la gestion des ressources humaines.

3ème Proposition

La décentralisation doit être plus vigoureusement et rapidement renforcée en tant qu’outil privilégié du caractère participatif et démocratique de l’Etat et cadre du développement des communautés. Il s’agit de doter concrètement et réellement le Conseil Communal de prérogatives suffisantes pour légiférer, au nom des communautés territoriales à la base, pour toutes les affaires importantes pour le développement local. A cet effet notamment, le budget des collectivités devra être la cadre unique de financement de tous les programmes, projets et actions de développement des communes, quelle que soit la source de financement : allocation du budget national, agences nationales d’appui au développement local, coopération et aide au développent provenant des PTF etc. Les services déconcentrés de l‘Etat ne devront intervenir dans le fonctionnement des collectivités qu’en appui technique à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes et projets, et non en substitution aux services communaux.

A ce titre, il ne faut pas laisser au seul pouvoir exécutif le soin de fixer le calendrier et les étapes du processus de décentralisation. Ce calendrier et ses étapes devront être fixés par une loi de façon à ce qu’au bout d’une période précise (un mandat présidentiel par exemple), l’ensemble des compétences dévolues aux collectivités décentralisées par le Code des Collectivités soient rendues effectives. Cette disposition devra être rapidement effective (au bout de deux ans au maximum) dans les domaines prioritaires de l’éducation, de la santé, des pistes rurales, de l’habitat, de l’aménagement du territoire et de l’environnement.

4ème Proposition

La décentralisation doit intégrer clairement et précisément le statut, le rôle et la place des institutions traditionnelles, dans un respect équilibré, d’une part, de leur légitimité et de leur représentativité dans les appareils d’Etat et, d’autre part, des limites de leurs pouvoirs dans le fonctionnement des institutions républicaines et du fonctionnement de l’Etat. Il est vital, pour l’unité de la nation, que les institutions traditionnelles cessent d’intervenir aux niveaux centraux de l’Etat, des politiques macro-économiques de développement et de la gestion centrale des ressources humaines, pour apporter leurs appuis et conseils, au niveau des structures et institutions décentralisées.

Il est d’une importance vitale, qui engage l’unité et la solidarité de la nation, que nous évitions de nous engager dans une vision et des démarches concrètes fondées sur une représentation de la Guinée comme une addition de quatre régions naturelles ayant des identités historiques et socioculturelles spécifiques. Cette vision est non seulement fausse tant du point de vus de la géographie, de la démographie que des réalités socioculturelles, mais, plus grave, elle ouvre la voie à toutes les forces qui œuvrent, quasiment partout en Afrique, à la partition des territoires, des nations et des États au but de mettre en place des micro-États, impuissants et inconsistants dans les défis et enjeux de la mondialisation.

5ème Proposition

La Constitution doit se prononcer plus clairement et précisément que les précédentes sur la question fondamentale de la langue française, d’autres langues étrangères et du statut, place et rôle des langues nationales. Elle doit clairement établir les voies et moyens par lesquels les langues nationales, en tant que langues du peuple de Guinée, devront être, notamment dans le système éducatif, à l’Assemblée et dans le cadre de la décentralisation, des langues de l’exercice du pouvoir, d’administration, d’éducation et de communication nationale. Un calendrier objectivement et scientifiquement fondé doit être établi à cet effet.

Pour conclure

La reconstruction de l’Etat, et donc d’institutions fortes, garantissant la légitimité et la représentativité des élus du peuple tout entier, est la tâche décisive de la transition.

Convenons du type d’Etat et du régime que nous voulons mettre en place. Puis choisissons, par des élections libres, démocratiques et inclusives les hommes dont nous pensons qu’ils sont à mesure de faire fonctionner ces institutions.

Commençons par la base pour aller vers le sommet. Les élections communales, puis les élections législatives, le Conseil Économique, Social et Environnemental, les autres Conseils et Autorités Constitutionnel et, seulement après tout ce processus électoral fixé par un calendrier raisonnable et rationnel, les élections présidentielles.

Prenons le temps qu’il faut, pour nous éviter de perdre du temps, et hâtons-nous lentement.

Labé, le 18 Septembre 2021,

 Baïlo Teliwel Diallo, ancien ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique

 

 

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