Le 20 mars 1984, Sékou Touré rentre à Conakry fatigué de son voyage à Alger et Rabat, où il a tenté de régler le différend algéro-marocain sur le Sahara occidental, qui risque de compromettre le succès du 20e sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), lequel doit se tenir bientôt dans la capitale guinéenne. Le 22, au Palais du peuple, il clôt le Congrès des syndicats de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en déclarant : « Je resterai syndicaliste jusqu’à ma mort. » Quelques heures plus tard, Sékou est pris de vomissements et de fortes douleurs. Le lendemain, tous ses rendez-vous sont annulés. Le soir même débarquent à Conakry des médecins que le roi Hassan II, prévenu de l’incident, a dépêchés par avion spécial depuis le Maroc. Ils constatent de sérieux problèmes cardiaques.

Le monarque marocain alerte alors la clinique cardiologique de Cleveland, aux États-Unis, l’un des établissements les plus réputés au monde. Le 24, des cardiologues venus des États-Unis délivrent leur diagnostic : anévrisme de l’aorte. Une intervention chirurgicale est impérative. Un avion médicalisé saoudien est affrété pour emmener Sékou jusqu’à Cleveland. D’abord réticent à l’idée de quitter son pays, le chef de l’État guinéen, accompagné de quelques proches, s’envole finalement vers les États-Unis le 25 au soir.

Là-bas, dans la matinée du 26 mars, des examens confirment la gravité de l’affection. Les chirurgiens se montrent toutefois optimistes. Dans l’après-midi, soit quatre jours après le malaise de Sékou, ils entament une délicate opération. Mais au bout de quatre heures, le cur lâche et tous les efforts pour ranimer le patient restent vains. À 15 h 23, heure locale, 22 h 23, heure de Conakry, le décès est constaté. Le Premier ministre, Lansana Béavogui, est informé avant minuit. La Guinée et le monde entier apprennent la nouvelle au petit matin.

Le 28 mars, la dépouille arrive par avion spécial à Conakry. Le cercueil est exposé pendant deux jours au Palais du peuple, où la population se presse pour lui rendre un dernier hommage. Le 30, un rassemblement est organisé en son honneur au Stade du 28-Septembre. Puis, en présence de nombreux chefs d’État et personnalités, a lieu l’inhumation au mausolée de Camayenne, aux côtés des restes de Samory Touré, le célèbre adversaire de l’armée coloniale française, d’Alpha Yaya, l’ancien roi du Labé, et de bien d’autres héros de l’histoire guinéenne. Pendant ce temps, des rumeurs fantaisistes commencent à courir : le corps de Sékou ne repose pas dans le cercueil mais aurait été emmené au Maroc ou en Arabie saoudite

Conformément à la Constitution, Lansana Béavogui assume la direction du pays, où un deuil national de quarante jours a été décrété. À Conakry, il se dit que le bureau politique du Parti démocratique de Guinée (PDG) est en proie aux plus vives dissensions. L’armée, menée par le colonel Lansana Conté, s’impatiente. Et finit par prendre le pouvoir dans la nuit du 2 au 3 avril, formant un Comité militaire de redressement national. Les proches de Sékou et les anciens dignitaires sont emprisonnés à Kindia (dans l’ouest du pays), les prisonniers politiques détenus au camp Boiro sont libérés, les institutions du Parti-État sont dissoutes, la population crie son espoir d’un avenir prometteur et des exilés reviennent au pays. La proclamation de la IIe République balaie définitivement l’ère Sékou Touré.

Avec le PDG, le grand Sily (« éléphant ») a dominé la vie politique du pays pendant plus de trente ans, dont vingt-six à la tête de l’État. Les élans enthousiastes de celui qui obtint pacifiquement l’indépendance du pays, le 2 octobre 1958, et qui contribua à l’unité du continent, sont vite oubliés. En quelques heures, sa Révolution, qu’il a su maintenir par une implacable répression de complots réels – et parfois supposés -, n’est plus qu’un vieux souvenir.

Avec JA

 

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