Quarante et un an, ce 04 février 2021, que le cimetière de Yoff, accueillait le grand écrivain africain francophone, Camara Laye de la Guinée. Né le 1er janvier 1928, l’auteur meurt à Dakar, où il s’était exilé, forcé par le gouvernement de Sékou Touré, à la suite de la sortie, notamment, de son livre «Dramouss» (Plon, 1966), un véritable hymne à la liberté, une allégorie nimbée de critiques violentes sur le régime guinéen d’après indépendance. Le souvenir de Camara Laye, l’enfant de Kouroussa défile comme un long chapelet de reconnaissances pour cet ingénieur à la plume d’or dont l’ouvrage inestimable «L’enfant noir» (Plon, 1953) a marqué, génération après génération, une grande partie de l’intelligentsia africaine.
Camara Laye est un conteur dont l’exil rend la mémoire vive et expressive. Point de masque dans le surgissement de cette parole sans artifices, mais une libération de son être profond, celui que l’on assume sans complexes mais fierté. L’enfant de Kouroussa, «grâce à la magie des mystères de l’Afrique, plie la langue française comme le feu de la forge de son père pliait le fer pour lui donner la forme souhaitée, non pour la déformer mais pour lui insuffler la poésie nécessaire à la transmission de son authenticité», confie l’auteure «Des cris sous la peau» (Presses panafricaines, 2018), Mme Fatoumata Diallo Bâ, professeure de lettres classiques au lycée Jean Mermoz de Dakar. L’avis sur l’auteur du «Regard du roi» (Plon, 1954), Camara Laye demeure intact. L’écriture a ce don d’éternité qu’elle confère aux artistes. Orfèvre dans sa description de sa Guinée natale traditionnelle, à travers «L’enfant noir», l’auteur né le 1er janvier 1928 et décédé le 4 février 1980, est encore d’une grande actualité!
Le livre «L’enfant noir» est encore étudié, au collège à un moment charnière de l’évolution de l’enfant. « La simplicité de l’écriture permet une compréhension facile et réconcilie l’élève d’une part avec la lecture et d’autre part avec les traditions et l’éducation traditionnelle africaine», analyse, Dr. Mamadou Dramé, professeur assimilé, formateur au Département de Lettres à la Fastef, Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Camara Laye permet d’entrer dans la société de type traditionnel, et nous fait revivre le travail de la forge, les croyances, le passage du village à la ville, de l’insouciance vers une éducation à la française sous la colonisation etc. «Tout ceci peut favoriser la maturité des jeunes tout en les laissant adopter les valeurs dans lesquelles ils ont toujours baigné », selon M. Dramé, linguiste et auteur de «Parlez-vous hip hop?, le langage de la rue et transgression langagière au Sénégal» (Editions Afroquebec, 2019).
Le témoignage d’Alpha Mamadou Diallo, spécialiste de l’Information et de la Communication est éloquent: « Camara Laye, c’est d’abord, «L’enfant noir», un roman qui est un témoignage d’une immense poésie sur la vie dans un village guinéen avant les indépendances. Je ne sais pas si ce roman est le fruit de la solitude parisienne de l’auteur, mais j’ai adoré le lire. J’ai aimé la trame narrative et cette nostalgie du royaume de l’enfance. C’est certes une description de la Haute-Guinée, mais pour le fils d’exilé guinéen que je suis, les romans de Camara Laye ont forgé cet imaginaire sur la Guinée, le Fouta Djalon de mon défunt papa. J’ai ainsi tenté de transposer la vie à Kouroussa, en imaginant ce qu’a été le royaume de l’enfance de mon papa à Lélouma... »
Emu, notre interlocuteur, fonctionnaire aux Nations-Unies, à Genève, clarifie: «Et seul un roman peut permettre de recréer cet imaginaire et ce désir de se réfugier dans un passé édulcoré par la nostalgie. Et pour les exilés, cette quête, cette appétence d’un retour impossible».
«La magie de « L’enfant noir » a aussi opéré sur des millions de personnes à travers le monde: « Plus tard, devenue professeure de Lettres en France, j’ai fait découvrir l’œuvre à mes élèves français de Sixième. Ils ont adoré découvrir l’Afrique à travers la simplicité de la langue, la poésie des paysages, la beauté des mystères», souligne Fatoumata Bâ Diallo.
Camara Laye, l’art au service de la libération de l’Afrique coloniale?
Les nombreuses critiques qu’a subies Camara Laye pendant les décennies de lutte pour l’indépendance des pays Africains nous amènent à nous interroger sur leur bien-fondé à la lumière de la lecture de deux de ses œuvres, « L’enfant noir» et «Le maître de la parole» (Plon, 1978). La qualité de ses détracteurs dont le moins caustique n’a pas été le grand Mongo Beti, recommande la prudence dans l’approche de l’auteur même si d’autres écrivains non moins importants comme Senghor ont pris sa défense.
« Il me semble que les raisons d’apprécier la beauté de cette plume pleinement africaine sont nombreuses car c’est l’âme de l’Afrique entière qui coule dans les veines de ses écrits. Et si nous avons le devoir d’honorer ceux dont la plume s’est faite sabre pour trancher les fers de la colonisation, nous avons également celui de ne pas oublier que l’affirmation de soi est aussi une forme de résistance à l’oppression, si ce n’est la plus efficace, du moins d’une valeur équivalente», confie Madame Diallo Bâ, qui a découvert Camara Laye lorsque, petite, elle fréquentait la même école que l’un de ses fils resté à Dakar alors que son épouse était détenue dans les geôles de Sékou Touré.
L’universel !
Il y a quelque chose d’universel dans l’œuvre de Camara Laye. Un charme qui transcende les appartenances culturelles et appelle l’humanité à des noces respectueuses de l’identité de chacun et ce charme opère encore. Les ouvrages de Camara Laye, tout comme Sembène Ousmane, Cheikh Hamidou Kane, Mongo Beti, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Mariama Bâ, Aminata Sow Fall, Chinua Achebe, Seydou Badian Kouyaté, Djibril Tamsir Niane et tant d’autres, constituent une découverte de l’Afrique, un regard sur le continent… .
Beaucoup parmi ses contemporains, ne savent pas qui était vraiment Camara Laye, même certaines de ces filles contactées et qui ont préféré vivre sous l’ombre protecteur de leur père! L’une d’elle confie néanmoins: «Mon père aimait rassembler les gens. Il aimait aussi prendre sa voiture et emmener ses frères au cinéma. Il était sociable et aimait le mafé.
Combien de gens n’ont pas, un jour, faisant plaisir à leur maman ou à la mère de leurs enfants, envoyé ce poème liminaire et éternel de « L’enfant noir» ou déclamé avec perfection: «À ma mère». Enfin, Camara Laye, l’Africain et l’Universel, ce sont aussi ces mots, cet hymne à la femme guinéenne, à la brave femme africaine, nos mamans: «Femme noire, femme africaine, ô toi, ma mère, Merci, merci pour tout ce que tu fis pour moi, Ton fils, si loin, si près de toi ! »
Une autre de ses filles, qui vit à Paris renchérit, comme une lettre viatique qu’elle me demande de transmettre à son père: «Saches que ton œuvre restera intemporel, qui s’est imposé comme un classique de notre temps. Papa, tu m’as fait connaître mes ancêtres disparus ainsi que la belle richesse de notre culture. Je t’en remercie».
Par El Hadji Gorgui Wade Ndoye et Oumar Diouf (Le Soleil)