Les initiatives de changement de lois sont intervenues en Guinée dans un contexte agité et marqué par le rejet des propositions médianes (I), avec des conséquences qui appellent des observations en termes d’enseignements à tirer (II) pour trouver des solutions à travers un dialogue fructueux dans l’intérêtde tous (III).

I- L’hostilité du FNDC et de la mouvance aux propositions médianes :

Les appels au dialogue étaient devenus inaudibles et les tribunes rendues illisibles du fait des positions extrêmement tranchées entre les parties prenantes à tel point que ceux qui évoquaient l’idée d’une simple révision constitutionnelle au lieu d’un changement constitutionnelle afin d’améliorer la Constitution tout en protégeant les intangibilités, étaient perçus par le FNDC comme des complaisants à la solde du pouvoir. Aussi, ceux qui disaient qu’aucune condition pour un changement de Constitution n’était réunie et qu’une simple révision suffisait aux fins d’améliorations tout en conservant les intangibilités en vue d’une alternance, étaient perçus comme des opposants déguisés.

Et pourtant, comme rappelé dans nos tribunes antérieures, le report des élections législatives devait permettre des élections plus inclusives, précédées d’une simple révision de la Constitution pour sauvegarder les intangibilités afin que la question de la réforme constitutionnelle ne figure plus à l’agenda du/de la future Présidente de la République. Puis, la prise en compte de la candidature indépendante bien encadrée afin de réduire le monopole des partis politiques aux élections nationales, la révision de la loi organique L/91/13/CTRN du 23 décembre 1991 relative aux circonscriptions électorales, au nombre des députés et au montant de leurs indemnités ainsi que la loi loi organique L/96/19/AN du 9 septembre 1996 portant avantages accordés aux anciens Présidents de la République.

Et ce, pour accroître proportionnellement le nombre de députés au prorata de la démographie par Circonscription électorale au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Prévoir un traitement pour les suppléants. Encourager l’alternance en toute quiétude. Tout cela pouvait décrisper l’atmosphère, améliorer le cadre juridique et institutionnel avec la consolidation des acquis démocratiques avant d’aller aux élections législatives.

Mais hélas ! L’effet conjugué de la fermeté des uns et de la détermination des autres n’augurait rien de bon. Le caractère controversé du double scrutin du 22 mars 2020 vient alourdir le climat sociopolitique et accroître les appétits aux élections présidentielles. Chaque camp veut jouer son va-tout sur fond de stratégies de jeu à somme nulle.

II- Les observations sur le processus de mutation des initiatives des «lois » querellées :

  1. La non prise d’un acte administratif officiel de création d’une constituante ou d’un Comité d’experts de rédaction et ce, pour connaître leur profil multidisciplinaire, leur background ainsi que sur lieu de travail en guise de transparence ou d’ouverture aux propositions des citoyens et des professionnels du droit aux fins.
  2. La mauvaise rédaction de l’Ordonnance/2020/001/PRG/SGG du 29 janvier 2020 portant dispositions relatives au référendum en son article 8 qui prévoit que le projet de Constitution soit publié au J.O.R.G. Cela est contraire au Code civil qui consacre la publication des textes de loi en droit guinéen. Or, l’Ordonnance est infra légale (inférieure à la loi) quoique supra décrétale (supérieure au Décret).
  3. La publication du projet cacheté au J.O. R.G en janvier 2020. C’est contraire aux exigences du Code civil en vertu duquel, une loi publiée au J.O.R.G sera exécutée ou à la date qu’elle fixe alors qu’une loi promulguée est exécutoire.
    Mais, à quelque chose de malheur est bon. La petite utilité de la publication du texte non promulgué réside dans la preuve qui sert d’antidote efficace contre le déni.
  4. La Constitution dite remplacée et a été visée pour servir de base au Décret de promulgation D/2020/073/PRG/SGG du 6 avril 2020 et publié au journal officiel de la République du 14 Avril 2020. Non ! La base légale principale de promulgation et de publication des lois est le Code civil de la République de Guinée (articles 1er à 5).
  5. Tel que rappelé dans nos précédentes tribunes, si la Cour Constitutionnelle avait examiné le projet joint à la demande d’avis pour le référendum, les rédacteurs allaient être connus sans aucun risque de diluer leurs responsabilités. Ils n’allaient pas se donner une si grande marge manoeuvre osée et inadmissible même en matière de codification à droit constant, pour porter les points de variations. Cela pouvait aussi rassurer les citoyens et orienter les autorités vers les bonnes pistes tout en dissuadant contre toute tentation à la falsification.
  6. NB : Il y a au moins, vingt-quatre (24) points de variations au caractère plus dé-consolidant que consolidant sur tout l’arsenal juridique querellé. Vingt-trois (23) articles entre les deux (02) textes dont un (01) supprimé par fusion et une (01) variation portée sur le visa du Décret de promulgation. Ce Décret D/2020/073/PRG/SGG du 6 avril 2020 avait au visa, les termes suivants : « Vu la Constitution, notamment en son article 51, alinéa 1er ; », avant d’être modifié en ces termes : « Vu la Constitution ».Voir et écouter sur youtube www.guineesud.com– RTG du 6 avril 2020 ou lire sur le site https://www.guinee7.com/guinee-alpha-conde-promulgue-la-no…/aux fins.

Le visa du Décret de promulgation était contre à l’Avis N°002/2019/CC de la Cour Constitutionnelle du 19 décembre 2019. Pour rappel, la Cour Constitutionnelle avait rejeté à bon droit, la doctrine de ‘’l’article 51’’ et les arguments de la ‘’légitimité’’ comme base juridique à un changement constitutionnel. Même si l’interrogation demeure sur le fait que la Cour Constitutionnelle ait à son tour invoqué l’esprit général de la Constitution pour autoriser le changement constitutionnel.
Existe-t-il un esprit général d’une Constitution autre que de celui de la respecter et de la faire respecter dans sa lettre et dans son esprit?

  1. Les variations sur les deux textes ont conduit à des interventions qui méritent des précisions sur les domaines de compétences du Ministre de la Justice, Garde des Sceaux et de la Cour Constitutionnelle.
  • Le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux est le gardien exclusif de l’original du Sceau de l’Etat qui doit apparaître sur la Constitution en application de l’article du Décret D/2002/13/PRG/SGG du 13 février 2002 portant dispositions réglementaires relatives au Sceau de l’Etat.

NB: Parlant du département, il se dit le Ministère de la Justice. S’agissant de son premier responsable, il se dit le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, comme pour dire que garder exclusivement l’original du Sceau de l’Etat constitue une de ses attributions qui ne doit pas être assimilée à la garde de la Constitution, ni à l’interprétation de la loi encore moins à la validation d’une procédure légale.

  • La Cour Constitutionnelle demeure la seule gardienne de la Constitution en application combinée des articles 1er alinéa 1, 18 et suivants de la loi organique L/2011/06/CNT du 10 mars 2011 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
  • En fait d’interprétation de la loi, ce sont les Cours et Tribunaux qui en sont exclusivement compétents sur le fondement des articles 107 et suivants de la Constitution adoptée 19 avril 2010 par les 159 membres du CNT et promulguée le 7 mai 2010 par Décret D/068/PRG/CNDD/SGPRG/2010 du Général Sekouba KONATE. Compétences reprises à l’article 110 du texte querellé du 14 avril 2020.
  1. La Cour Constitutionnelle a validé le texte querellé après avoir déclaré la demande irrecevable tout en statuant sur le fond d’un texte dont elle a volontairement écarté l’examen tel que mentionné dans son Arrêt y afférent du 19 décembre 2019 en ces termes : «…2.Considérant que, ceci étant, la Cour portera son appréciation sur la régularité de l’initiative de référendum constitutionnel et non sur le projet de Constitution ». Ce revirement jurisprudentiel et autres contrariétés feront l’objet à coup sûr, de commentaires d’Arrêt dans les Facultés de droit du monde pas dans un sens non pas élogieux, mais en exhortation à la vigilance procédurale et législtique.
  2. La validation d’un second texte publié sans numéro et l’allusion faite à une 4ème République n’ont aucun un caractère consolidant. N’est-ce pas que la Constitution de la première République avait pour référence Loi n° 4/AN/58 du 10 novembre 1958 ?
  3. L’absence de l’acte de proclamation de ladite 4ème République dans le numéro spécial du J.O.R.G. ainsi que de la question de savoir si les conditions de changement de République ont été remplies n’est pas encore tranchée à date.
    NB: Pour rappel, ce n’est ni le nombre de Présidents, ni le nombre de Constitutions qui suffit pour passer d’une République à une République.

  4. La validation d’un texte querellé sans tenir compte du bloc de constitutionnalité en termes d’harmonie avec la loi organique électorale pour ne pas contrarier les instruments internationaux auxquels la Guinée est Partie a été un autre précédent dangereux. Ce, au regard des difficultés à adapter l’article 42 du texte validé sur le parrainage des candidatures aux élections présidentielles au caractère restrictif, discordant et dissuasif. Un critère contraire à la loi spéciale L/2017/039/AN du 24 février 2017 portant Code électoral.

Or, il est formellement interdit aux Etats de la CEDEAO de faire des réformes de lois dans les six (06) mois avant les élections sans une entente majoritaire entre les acteurs, conformément à l’article 2 alinéa 1er du Protocole a/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, aux termes duquel : «Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ».

A noter qu’à compter du 11 juin 2020, date du rendu de l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle validant le texte querellé et la proposition de date faite par la CENI pour le 1er tour des élections présidentielles au 18 octobre 2020, il y a juste un intervalle de temps de quatre (04) mois, une (01) semaine inclusivement. Le statu quo.

  1. Par ailleurs, il y a le problème de l’Assemblée Nationale issue du scrutin controversé du 22 mars 2020 qui consiste à ne pas respecter le texte validé par la Cour Constitutionnelle dont elle se prévaut qui dispose clairement en son article 75 que «L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en Session ordinaire unique qui commence le 5 octobre et prend fin le 4 juillet….». Bref, même étant convoquée par Décret D/2020/82/PRG/SGG du 16 avril 2020, cette Session inaugurale ne saurait être si spéciale pour se substituer à une Session extraordinaire et elle aussi ne peut non plus s’apparenter à une Session ordinaire pour s’intéresser indéfiniment à tous les sujets. Aucune Session extraordinaire n’a été convoquée à date et la terminologie de Session spéciale n’est pas consacrée en droit parlementaire guinéen.

En plus, le Décret convoquant la Session inaugurale a bien précisé en son article 2 que « La Session inaugurale est consacrée exclusivement à l’élection du Bureau de l’Assemblée Nationale». Dès lors, la VALIDITÉ des ‘’textes’’ votés après la Session inaugurale se pose acuité. La prudence commandait d’attendre la période indiquée à partir du 5 octobre pour peu qu’il y ait une volonté interne à se conformer à la Constitution dont elle se prévaut ou s’il y a une volonté de conférer une garantie de sécurité juridique durable dans l’avenir, aux textes votés dans cet intervalle de temps illégal et en dehors de toute convocation de Session Extraordinaire. Voir https://guineematin.com/…/assemblee-nationale-alpha-conde-…/ Il fallait attendre la période.

Une Session inaugurale ne peut se transformer en Session de fait, ni en Session spéciale, ni en Session Extraordinaire, encore mois en Session Ordinaire en droit guinéen.
En clair, si les mutations peuvent être nécessaires pour bien régir la vie en société, s’agissant de la Constitution, les réformes y afférentes commandent d’être faites par des mains expertes après la réflexion bien mûrie et l’approche participative de la démarche afin d’éviter sa dé consolidation comme c’est le cas pour le texte en cause.

Gérard LARCHER n’a-t-il pas averti qu’« on ne touche à la Constitution que d’une main tremblante » ?

Au regard de la complexité de même que de l’ampleur de la crise de confiance et défiance des acteurs qui sont partagés entre la fermeté et la détermination, les efforts des facilitateurs nationaux et internationaux seraient salvateurs.

III. La nécessité impérieuse d’un dialogue productif :

Il s’agira pour le facilitateur attitré de la crise récurrente guinéenne, d’exhorter au dialogue par l’entremise des mécanismes diplomatiques par graduation, conformément à l’article 52 de la Charte des Nations Unies. C’est-à-dire, la CEDEAO en première position, l’Union Africaine en deuxième position et l’ONU en troisième position pour la tenue d’un dialogue précédé par la prise de mesures de décrispation au niveau des autorités compétentes comme la libération des détenus politiques en liant avec la crise née des réformes des lois et exhorter en contrepartie les membres du FNDC à surseoir aux manifestations dans un contexte de crise sanitaire liée au Covid-19.

Refuser le dialogue d’une part, c’est favoriser l’enlisement de crises qui ne sont durablement bénéfiques pour personne.

A la CENI de développer la concertation, l’approche participative pour gagner la confiance des acteurs politiques afin de réussir sa mission dans le respect des lois.
Il y a lieu de privilégier le dialogue sincère pour trouver des solutions concertées. Refuser le dialogue d’une part, c’est favoriser l’enlisement de crises qui ne sont durablement bénéfiques pour personne. Refuser de prendre des mesures de décrispation et opter pour le durcissement ou le forcing advienne que pourra, c’est choisir sans garantie de prospérer, la gestion de crises multisectorielles ouvertes et celles à bas bruit à la suite des demandes pressantes des populations très éprouvées.

Puis, celles des acteurs politiques aux aguets à cause entre autres, du double scrutin agité du 22 mars 2020 et l’envie de revanche à prendre autant que faire se peut.

Enfin, il s’agira de mettre strictement en application, les préconisations qui résulteront du dialogue, tout en préservant les acquis intangibles chèrement obtenus dans les lois avant la survenue de cette crise née des réformes querellées au caractère plus dé-consolidant que consolidant. Le respect des lois est la garantie sécuritaire pour tous dans la paix et le développement durable. Que Dieu apaise les cœurs.

 Fait à Strasbourg, le 02 juillet 2020.

Mohamed CAMARA.

Chargé de Cours de droit et de Sciences Politiques.
Doctorant en Droit à l’Université de Strasbourg.

 

 

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