Durant tout le débat relatif au changement de constitution, ceux de nos compatriotes qui ont initié et soutenu le projet ont invoqué la souveraineté du peuple et son droit inaliénable de définir en toute liberté ses institutions. Nul ne peut empêcher le peuple souverain de se doter d’une nouvelle constitution, disait-on dans tous les discours. C’est d’ailleurs le motif qui avait été retenu par la Cour constitutionnelle dans son avis n° 002 du 19 décembre 2019 pour conclure que le Président de République était fondé à proposer une nouvelle constitution aux Guinéens. Il se pose aujourd’hui l’épineuse question de savoir si ceux qui tenaient ce genre de discours ont pris en compte la souveraineté du peuple de Guinée. Ont-ils respecté la souveraineté populaire qu’ils défendaient bec et ongles ? La réponse à cette question est mille fois non. Pourtant, bien des juristes avaient tiré la sonnette d’alarme en insistant sur le fait que la prétendue volonté du peuple ne correspond parfois à rien si ce n’est les désidératas d’une poignée de personnes agissant dans un but purement personnel et pour protéger des intérêts particuliers. Les partisans du projet de changement de constitution ont cloué au pilori les membres du CNT pour s’être, selon eux, substitués au peuple souverain en élaborant une constitution qui n’a pas été soumise à son approbation, et le FNDC qui , disent-ils, s’opposait à l’exercice par ce peuple de sa souveraineté à travers un référendum. Un membre du gouvernement avait même traité les membres du CNT d’imposteurs ; un autre qualifiait quant à lui la constitution du 7 mai 2010 de » chiffon ». L’on s’attendait donc à ce que le référendum donna au peuple de Guinée l’occasion de s’exprimer en choisissant en toute liberté une constitution dont elle allait approuver toutes les dispositions afin de lui conférer la légitimité qui manquait à la constitution de 2010 suivant l’argumentaire des promoteurs du projet.

Le 22 mars 2020, en dépit des risques de propagation de la covid 19, des anomalies gravissimes constatées dans l’organisation du scrutin , le refus de plusieurs organisations internationales et de pays étrangers de déployer des observateurs sur le terrain et surtout des violences meurtrières enregistrées tant à Conakry qu’à l’intérieur du pays, une partie du peuple a tenu à exercer son devoir civique en votant. Il a été demandé à ce « peuple » de se prononcer sur un texte qui lui a été soumis sous la forme d’un projet de constitution. Il s’est exprimé et a adopté ce texte à une large majorité selon l’organe de gestion des élections en Guinée. Mais fort malheureusement, la volonté du peuple n’a finalement pas été respectée puisque le texte qu’il a adopté n’est pas celui qui est devenu la » nouvelle constitution » guinéenne. Sa volonté a été travestie, dénaturée, altérée, abatardie ; sa souveraineté a été foulée aux pieds. C’est pourquoi, cette « nouvelle constitution » n’a plus cette légitimité qu’elle pouvait prétendre avoir.

L’exercice par le peuple de sa souveraineté ne se résume pas au fait d’avoir été consulté à l’occasion d’un référendum. Il se traduit également par le respect de la volonté librement exprimée par ce peuple suite à cette consultation. Visiblement, le peuple de Guinée a parlé mais ce n’est pas ce qu’il a dit qui a été retenu. Des Guinéens qui se croient plus Guinéens que tous les autres Guinéens ont estimé que le peuple, ce sont eux. N’est-ce pas le reproche majeur qu’ils faisaient au CNT ? C’est une imposture inqualifiable et la preuve qu’ils n’ont aucun respect pour le peuple dont ils prétendaient pourtant défendre la cause contre « ses ennemis » que sont les membres du FNDC. La réalité a démontré aujourd’hui qu’il n’y a pas plus imposteurs qu’eux. Ce qu’ils ont fait est sans aucun doute une première à travers le monde. Dans les constitutions taillées sur mesure, on essaie d’habitude d’y mettre toutes les dispositions favorables au dirigeant du pays et on les fait » adopter » dans des conditions souvent très peu transparentes. Mais une fois que le texte a été adopté, quelle qu’en soient les conditions, on y ajoute plus rien et on n’y retire plus rien. La Guinée vient d’innover non seulement en adoptant une constitution taillée sur mesure mais aussi en dénaturant ce qui a été adopté par les votants.
C’est pourquoi, ces derniers ont droit à des explications. C’est le minimum qu’ils sont en droit d’attendre de l’État. À défaut, ils sont fondés à récuser cette constitution qui leur est faussement attribuée.

Il n’est pas exagéré de dire qu’aujourd’hui que la Guinée est sans constitution puisque celle de 2010 est déclarée abrogée tandis que celle qui est censée la remplacer n’est pas authentique.

Sous d’autres cieux, tous ceux qui de près ou de loin ont trempé de bonne ou de mauvaise foi dans ce traficotage auraient déjà démissionné. Mais vu qu’ils ne sont pas connus et qu’ils ne seront peut-être jamais connus, on trouvera à cette affaire une solution très guinéenne. Dans tous les cas, certains sont désormais mal placés pour parler de souveraineté du peuple.

 Me Mohamed Traoré, avocat inscrit au barreau de Guinée

 

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